Le jour du Renard, Illustration des Contes du Bois de Roz, par Scullo

Le jour du renard

Les Contes du Bois de Roz

Sep 23, 2015

A cette époque, à Limerzel, courait sur la lande la bruyère sauvage, poussaient la primevère au bord du ruisseau, les fragiles campanules. A l’époque dont je vous parle, si lointaine et si proche à ma mémoire, le chasseur fatigué pouvait, au soir d’une belle journée, se reposer au pied d’un saule, goûter la fraîcheur d’une cressonnière, écouter le doux chant de la rivière.

C’était ma première année de chasse. Aujourd’hui, que mes cheveux gris et mes rides donnent à mon visage la sérénité des jours passés, que la chasse m’a tout donné, je peux avouer que mes débuts furent difficiles. “Je ne mettais pas dedans”. L’envol de la perdrix, du faisan, le démarrage du lièvre me surprenaient à tel point que j’étais incapable de viser. Bien pire encore était l’attente, la certitude que l’animal était là. Le chien Dick à l’arrêt, couché sur les feuilles mortes ; pas de doute, la bécasse piétait sous le couvert. Le premier moment de satisfaction passé, je me préparais au départ de l’oiseau. Une seconde, deux secondes, trois, dix secondes, me répétant : il faut attendre ; imaginant la direction de son départ. Puis, la mordorée, dans tout l’éclat de ses jolies ailes, s’envolait. Au revoir et merci. Mes deux coups étaient lâchés : “trop tôt” me disait le Père Jean, “tu tires trop tôt, il n’est pas permis de rater en belle comme ça”.

Janvier perçait sous décembre. Pas une perdrix, pas un faisan et le constat redoutable s’imposait : dans trois semaines, la bécasse serait fermée. Il me restait trois dimanches pour ramener à la maison une bécasse. J’espérais vainement un accident cardiaque, une candidate au suicide mais la réalité était impitoyable. Chaque oiseau que je tirais affichait une belle santé, me laissant penaud et désappointé. Je devenais la risée du pays. Le Père Jean devinait mon désarroi et me disait, pensant me soulager : “on est pas rendu à ce soir” ou bien encore avec délicatesse “on peut être bon tireur et mauvais chasseur”.

J’enviais ce vieil homme, je buvais ses paroles le soir à la veillée. Aussi loin qu’il pouvait s’en souvenir, les siens avaient chassé. Son grand-père, son père et ses fils continuaient aujourd’hui la tradition. Et dans le pays, son nom évoquait la chasse, était indissociable de menées farouches ; et, la rigueur et toute l’attention dont il entourait sa passion imposaient le respect. On disait de lui : “un sacré chasseur”.

 

Le dernier dimanche de la bécasse fut un hallali, “tout me partait dans les bottes” et je ratai en belle, mais en belle, au grand dam de mes camarades. Mêmes les chiens, avertis par je ne sais quel signe, m’évitaient. La bonne volonté du chien Dick avait laissé place au mépris, et la fin de la journée me vit à l’agonie, chercher une autre manière d’occuper mes loisirs. Je rentrai très vite à la maison ne m’étendant pas, au dîner, sur mes exploits de la journée.

Rien ! Pas une pièce à montrer, le tableau de chasse le plus pitoyable de la commune. Inutile de vous dire que j’évitais mes congénères. J’imaginais les rires sur mon passage, je supputais mes chances de persévérer dans le noble art, et vouais aux gémonies le gibier qui jamais ne partait dans la bonne direction.

J’étais Napoléon au soir de Waterloo, le tireur malheureux d’un pénalty en finale d’un tournoi, et c’était pas beau à voir.

Pourtant, Dieu sait que j’aimais la chasse, et je dois dire qu’au fil des jours, les affres de la défaite s’estompèrent dans les images merveilleuses d’une bécasse dans le soleil, de la brume sur Saint Clair par un froid matin de novembre. Et, revigoré, les petites blessures d’amour propre soignées à l’écoute des chasseurs en verve, je me décidai à participer aux battues.

Comme dans toute commune, les battues de renards parachevaient la saison. Tous les chasseurs se retrouvaient dans une grande communion solennelle : la passion de la chasse et le désir bien légitime de laisser les tendres épouses au foyer.

Le premier matin, le garde communal dit Ronflot, procédait à l’appel des présents, et avec l’accord du Président, fixait le lieu de la battue. Puis, dans un désordre apparent les chasseurs partaient se poster, retrouvant les amis, se regroupant par affinités.

Je partis avec le Père Jean qui n’avait pas son pareil pour se placer, non plus pour être en retard. La battue avait lieu dans les bois de Kerfica, et les rabatteurs et les chiens partiraient de Salayas. C’était une belle journée de février et les chasseurs étaient nombreux.

 

Sur la route, nous croisions des autos garées sur le côté d’où sortaient des chasseurs. A Nazareth, sur Kervazo, les chasseurs étaient déjà là, nous faisant des signes, nous saluant, riant de constater que le Père Jean, tout bon chasseur qu’il était, ne démentait pas sa réputation de retardataire. Et, lui de sourire, de répondre par un signe de la main, me disant : “passera pas là !”

Arrivés à la croix de Kersampé, il arrêta la voiture, la laissant derrière un bouquet d’arbres. Les chasseurs n’étaient pas venus jusqu’ici, pensant comme je le pensais moi-même, être trop loin des bois. Il prépara tranquillement son fusil, ses cartouches, puis me dit : “tu vas te placer près de la croix, quand tu entendras les chiens, le renard ne sera pas loin”.

Plus haut, en amont, j’aperçus Joseph Elain de Montaigu et André Le Bot de La Vieille Ville, et le temps passant, je distinguai d’autres chasseurs ventre au bois, certainement plus sûrs de tirer un renard que moi, seul, à trente pas du Père Jean, maugréant contre le mauvais sort qui avait voulu que je ne tue point de gibier cette saison là, et que je sois placé au plus loin de l’action, contre cette croix de pierre.

De temps en temps, je l’apercevais qui me souriait. Nous avions face à nous toute l’étendue d’une vaste parcelle et partant de la route, près de laquelle nous nous trouvions, de larges haies de châtaigniers et de ronces montaient jusqu’au bois.

A ce moment, une voix me héla : “Ça va ? Faut y réserver sa place ?” C’était l’express du Colé dit Noumba, grand compagnon de la bredouille, un large sourire aux lèvres. Il arrivait tranquillement, se dirigeant vers le Père Jean qui le posta de l’autre côté de la haie.

Un coup d’oeil complice : un de moins à nous déranger. Je souriai gentiment faisant contre mauvaise fortune bon coeur, répondant par ce même signe imperceptible de tête.

Dans l’attente des midis sonnants qui mettraient un terme à la battue car il est bien connu qu’un estomac limerzelais est réglé sur l’horloge de l’église, je divaguai me laissant aller à penser à cette période sans nom, indéfinie et morne, située entre deux saisons de chasse quand mon esprit, quelque peu affadi, m’indiqua que les cris lointains auxquels je n’avais prêtés aucune attention étaient des aboiements.

Et, lorsque réveillé et que mon cerveau alarmé de chasseur débutant m’indiqua qu’il s’agissait d’une menée qui, timide, prenait maintenant des allures de fanfare, se rapprochant rapidement, mes mains, mes yeux se mirent à trembler. Oui, c’était bien une menée, une belle et fière menée sur Kerfica ; chaque note de cette musique céleste mettant en branle toutes les émotions que j’avais pu éprouver jusque là.

Puis, un coup de feu, deux coups redoublés, deux autres coups de feu, trois, quatre, un signe du Père Jean voulant dire “c’est pour nous”, les cris des chiens, des hommes “à vous, c’est pour vous”. Et, là-haut, sortant du bois, la bête, un superbe renard, un charbonnier, venant droit sur nous. Le coeur qui bat la chamade, le renard qui approche, approche, le fusil à l’épaule, le renard qui crochette à gauche. Jean qui me crie : “il n’y a personne à gauche !” J’ai compris. Je prends mes jambes à mon cou. Et, au bout d’une course effrénée, à la patte d’oie du Parc, Messire Renard daigne couper la ligne.

Je mets un genou à terre et j’ai juste le temps de lâcher mon coup droit, de l’autre côté de la route.

Et, dans le soleil des douze coups de midi sonnant au loin, devant les chasseurs immobiles et attentifs en lisière du bois, le renard s’affale, touché à mort.

Les poumons me brûlent, un marteau cogne à grands coups sur mes tempes mais avec la nonchalance et la sérénité d’un chasseur confirmé, je m’approche de la victime. Les chasseurs arrivent, les commentaires vont bon train quand le Père Jean nous rejoint. Il soupèse l’animal, apprécie le coup en pleine tête, et, reposant la bête dans l’herbe encore trempée de la rosée du matin, dit en regardant chacun : “beau coup de fusil, pour sûr, un sacré coup de fusil”, m’ouvrant la grande porte du royaume tant attendu et éternel des chasseurs.

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