Ne le dis pas à ton chien Laurent

Ecrit par Laurent Maljan

30 mars 2018

Balade gourmande du chasseur

Ca fait drôle de remiser le fusil ! C’est dur ! Pour le chasseur, et pour les chiens !

Regarder mes pauvres bêtes par la vitre se morfondre, attendant la gamelle, m’attriste, comme vous. Se dire qu’elles couraient comme de beaux diables dans les bois, il y a quelques jours, m’empreint d’une certaine mélancolie.

Balade gourmande du chasseur
Balade gourmande du chasseur
guillemet

Mais le printemps est là, qui s’invite chaque jour un peu plus. Les bourgeons sur les branches des cognassiers, une lumière plus douce, parfois même une température plus clémente. La terre a amorcé son grand changement mais c’est sur l’eau que les hostilités ont commencé. En effet, les pêcheurs de rivière, qui ont rongé leur frein pendant des mois, ont ouvert le bal, si j’ose dire. 

C’était, il y a quinze jours. J’ai appelé mon vieux camarade JP, grand pêcheur devant l’Eternel qui m’a confirmé avoir taquiné le saumon, ce poisson roi des rivières bretonnes. Rien que de prononcer ce mot, au téléphone, lui fait changer de voix. Faut dire qu’un Castillon, avec un petit beurre blanc, dans l’assiette, ça secoue. « 13 », « seulement treize de pris chez nous», m’a-t-il dit. « Faut attendre un peu ! » Je le crois sur parole.

Pour ce qui me concerne, cette période un peu terne est l’occasion, avant de revoir Belle-Ile, de belles expériences gustatives. Un repas en pleine saison de chasse alors que les copains, toute la semaine, vous ont confirmé qu’il y avait eu un « passage », ça la fout mal. C’est pourquoi, j’essaye, ne le dites pas à ma femme, bien qu’elle s’en doute, de repousser les repas de famille.

La première  expérience a eu lieu à Rochevilaine, ce domaine merveilleux, qui marie les subtilités de la cuisine à des paysages toniques, où j’étais invité aux 80 ans de mon beau-père. Gouter une huitre en regardant, plus bas, l’embouchure de la Vilaine, sous le crachin, vous requinque pour la semaine ; entrer dans la salle au canon, derrière la grande cheminée, vous asseoir dans ces profonds fauteuils, vous envahit d’une grande douceur. Se lever ensuite, prendre un livre au hasard, et tomber sur le Miserere de Rouault, regarder furtivement quelques reproductions de gravures, tout en contemplant la mer, peut vous aider à la réflexion. Se mettre ensuite à table, avec Dumet, au loin, et gouter la saveur d’un carpaccio de langoustines, sous l’œil complice des sommeliers, peut vous amener à une sorte d’extase. Ce fut parfait ! La joie des enfants, qui ont rivalisé d’imagination pour faire plaisir à leur grand-père, les plaisirs de la table et du vin, partagés, ça ressemble au bonheur.

Mon deuxième coup de cœur gustatif du moment, je le dois à Bernard. Bernard Rambaud bien sûr ! Ce chef étoilé qui créa le Pressoir à Saint-Avé. Outre, le fait de pratiquer encore la cuisine, avec cette inventivité et la rigueur, qui ont fait sa réputation, Bernard aime l’aventure.  Celle des poissons, du golfe bien sûr, mais aussi le gibier, et j’aime, en saison, lui donner un beau lièvre, une gigue de chevreuil, ou bien encore les fameuses bécasses. C’est un honneur, pour le chasseur, qui fait confiance à des mains expertes, et pour le gibier, qui mérite toujours une grande attention en cuisine. C’était hier soir ! Pour me remercier sans doute, il avait confectionné des samoussas de mordorée. Oui ! J’ai bien dit des samoussas de bécasses. Il fallait oser ! Marier l’Orient, puisqu’il s’agirait d’une recette venant d’Inde, à la finesse de la chair de la dame au long bec, avec un savant mélange de champignons et d’herbes aromatiques, accompagné d’une petite roquette, fut une complète réussite. C’était un peu comme un prolongement de cette saison trop vite terminée.

Un dernier choc m’attendait. Alors même que je me remettais doucement des samoussas, ma femme, toujours elle, avait décidé, en ce morne dimanche, de m’emmener à Sarzeau, au pays des Ducs de Bretagne. C’est un secteur que je connais pour l’avoir parcouru pendant des années. Ses routes me sont familières ; celle du golfe qui est un bonheur pour la vue, et celle de l’océan. S’attarder au printemps, rouler à 50 km/h, si, si, prendre son temps, et s’extasier devant les hortensias du Fournevay, la ria du Lindin, Le Logeo ; marcher quelques instants sur le port, et puis reprendre la route, et pousser jusqu’à Pencastel, peut également ressembler au bonheur. Se rendre ensuite à Banastère, ce petit havre, presqu’oublié, passer voir Maryse, et regarder l’océan, tout en goutant a cette douceur, toujours précoce, vous fera passer un bon moment.

Car c’est connu, il fait toujours meilleur sur la presqu’ile, ce qui est vrai, il suffit pour s’en convaincre de regarder les fleurs. Oui, je peux dire que je les ai faites, ces petites routes, en hiver, sans voir un chat, en été, lorsque les touristes affluent, et au printemps, la meilleur saison pour découvrir ce beau pays.

On dit qu’il y eut de la vigne, dont on tirait un vin aigrelet, que de puissants seigneurs y avaient élu domicile. Pour sa douceur, peut-être pour la beauté de ses femmes, mais plus surement pour la chasse. Ils y ont laissé quelques façades de pierre, découvertes au hasard. Passez à Kerguet et regardez autour de l’église. Vous remarquerez les fenêtres à meneaux de la maison du gouverneur, et plus loin, ce mur antédiluvien, vestige du temps passé. Les moulins à eau de mer ne vous auront pas échappés, Pencastel en particulier, mais c ‘est le château de Suscinio qui vous fera la plus forte impression. Découvrir les tours de Suscinio au loin, au détour d’un virage, posé sur l’horizon, est un moment privilégié.

Ce pays est un péché, celui d’Abélard, le pauvre, qui séjourna à l’abbaye de Saint Gildas de Rhuys, et, Héloïse me pardonnera, du plus doux, le péché de gourmandise.

C’est à kermet, sur la route du Roahligen, qu’Arnaud Domette, ancien élève de l’école Ferrandi, et sa charmante épouse, se sont mis aux fourneaux. Après Jean-Paul Jego qui tint les rênes de l’établissement pendant de nombreuses années, et un trou dans le CV, comme on dit, le Kerstéphanie s’est fait une seconde jeunesse. C’est bien le terme qui convient à une cuisine créative: cannelloni de tourteaux aux saveurs d’agrumes, sole aux navets dans un jus de poule. La salle refaite a belle allure, et la dame est charmante. Il y avait la couleur, le goût, le juste équilibre qui convient à un plat, accompagné d’un beaujolais blanc. Quel moment ! Quels plaisirs ! Quelle belle région que la Bretagne, avec ses chefs si talentueux !

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