Ne le dis pas à ton chien Laurent

Ecrit par Laurent Maljan

9 avril 2016

Jacky m’a dit

C’est une sorte de papy nounours, avec une gueule à la Gabin, et la silhouette de Winston Churchill. Mais ne vous fiez pas aux rondeurs du bonhomme. Jacky est un vrai aventurier. Il y a quelques années, il a quitté la Bretagne, pour reprendre une boîte de BTP à Madagascar. Il faut dire « Mada » comme on dit « Tana » pour Tananarive, la capitale!

Jacky m'a dit
Jacky m'a dit
guillemet

Il a laissé là-bas un peu de sa jeunesse. Il a été également pisciculteur à une époque où la truite était la reine des élevages jusqu’à ce qu’elle fût détrônée par son cousin le saumon. Il a tout connu, tout goûté, jusqu’à l’excès, comme il aime à le raconter. Mais quand il parle de cette époque, ses yeux s’illuminent, et sa main tremble un peu.

C’est le grand ordonnateur de la chasse à la bécasse en forêt de Poncalleck, une sorte de grand sachem, le taulier de la maison. Il connaît cette forêt comme sa poche.

J’adore quand Jacky explique l’endroit où il va chasser. Il approche un doigt timide de la grande carte, posée sur le mur du pavillon, pour finalement caresser l’ensemble du territoire de sa main ouverte. C’est du grand art ! Personne ne saura où il se trouve, même pas lui.

Il équipe ses chiens d’un beeper. Une hérésie pour les disciples de la clochette, un confort pour les malentendants, et la seule façon de chasser avec ses deux compagnons.

Ses chiens s’appellent Dollar et Dora. Deux espèces de setter à la couleur incertaine qui ne connaissent que leur instinct. Mais quels chiens ! Aussitôt sortis du coffre de la voiture, ils s’élancent, sourds à toutes les injonctions, progressant en ligne droite mais ne laissant passer aucune bécasse.

Alors, vous entendrez au fond de la forêt, parfois à des centaines de mètres, le beep de Dollar. Jacky, qui se tient sur le chemin, lancera alors ses coéquipiers, jeunes et agiles de préférence, à la recherche du chien. « Allez servir les chiens ! » C’est d’une efficacité redoutable.

L’autre jour, Jacky m’a dit, alors qu’il avait perdu son chien: « mon chien peut rester des heures à l’arrêt, il ne bougera pas ! »

Ce qui a eu pour effet de soulever un murmure dans notre petite assemblée. Il faut dire que beaucoup de chasseurs sont des experts du chien d’arrêt. Chacun allait de son avis. Il y avait des partisans de mon ami, et des chasseurs qui n’étaient pas d’accord, un chien ne peut rester des heures face au gibier. Mais le temps passant, vers la fin du repas, si certains continuaient de douter, tout le monde fut d’accord pour dire que le saint Emilion se mariait parfaitement à l’entrecôte grillée dans la cheminée, oubliant la discussion qui s’était engagée. Il faut dire que c’est vrai, le bordeaux accompagnant une entrecôte, c’est bon, ça ne se discute pas. D’ailleurs, les chasseurs furent unanimes, se servant un dernier verre, pour louer le mariage de la table et de la chasse.

Bon ! L’après midi fut difficile, vous vous en doutez. Les pentes du Scorff après un repas pantagruélique, ce n’est pas conseillé, surtout après dame bécasse. Ce fut d’ailleurs, plutôt une après midi digestive qu’un combat avec la mordorée.

Je ne vis pas le temps passer. Le jour faiblissait, c’était en décembre, et je me hâtai de retrouver la voiture, que j’avais garée près des sœurs. Lorsque j’arrivai enfin au véhicule, je vis qu’on m’attendait. C’était une de ces braves sœurs, en tunique noire et blanche, qu’on saluait lorsque nous les rencontrions.

Je fis donc un salut respectueux à cette néanmoins dame dont je pouvais voir le visage courroucé sous la coiffe.

« Bonsoir Monsieur ! Me dit elle. « Je suis fort aise de vous voir car, comme vous le voyez, je ne suis pas contente. Vous allez dire à Monsieur Jacky d’éteindre …

Mais vous connaissez Jacky ?
Apprenez cher Monsieur que tout le monde connaît Jacky à Poncalleck.
« Vous allez dire à Jacky d’éteindre les balises qu’il sème dans la forêt. Ce bruit est insupportable ! Mais écoutez ! »

Par un mouvement de sa cornette, elle m’indiqua une direction.

« Ecoutez ! » Répéta-t-elle.

Je tendis alors l’oreille, et j’entendis distinctement, au loin, dans le soir qui tombait, ce son intermittent. C’était bien le beep du Dollar…

 

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