Ecrit par Laurent Maljan
La vieille école
C’était en 2011.
Dès que j’appris que la majorité départementale m’était acquise, faute de combattants, je commençai de battre le terrain. Ce fut la période la plus heureuse de cette campagne. Vous ne disposez d’aucun sondage, si ce n’est le résultat des dernières élections, et vous n’avez qu’une certitude, multiplier les rencontres est le plus sûr moyen de vous ménager des voix.
Je ne fus pas déçu. J’étais accompagné de mon ami Jean-Claude, ambulancier, qui connaissait le pays comme sa poche. C’était un diable d’homme. Il relevait d’un infarctus mais il avait l’allure d’un jeune homme. Je n’avais jamais vu distribuer les tracts à cette vitesse. Il fut d’une loyauté et d’un dévouement total, jusqu’à la dernière minute.
Nous commençâmes par la vallée de la Bogerais, sur ses coteaux ventrus, par une après-midi ensoleillée. Ce fut un pur moment de bonheur. Je connus là mes premières émotions liées à des rencontres.
Sur Malansac, des personnes âgées, qui avaient connu mes grands-parents ; la rencontre impromptue avec d’anciens camarades de football ; les relations professionnelles qui s’étonnaient de ma démarche ; et la rencontre avec des lieux. Non pas la campagne, les bois, les hameaux que je connaissais, pour les avoir parcourus lors de mes pérégrinations de chasseur invétéré, mais les bâtiments ; la petite chapelle du temple de Haut, la chapelle de la Bogerais, mais aussi l’école Saint Sixte, et son calvaire.
J’avais décidé ce jour-là mon co-équipier à nous rendre sur ma terre natale, et à distribuer des tracts dans un lotissement proche du bourg, ce qui me permettrait de parler avec des familles, parfois arrivées depuis peu, qui ne me connaissaient pas.
Or, m’étant écarté de mon itinéraire et voulant rejoindre mon camarade, je fus attiré par la ligne d’un mur antédiluvien, et plus loin, par le portail rouillé, d’une cour ombragée. Ce fut un choc.
Je reconnus l’école, mon école. Je vis un vieil homme qui me héla : « Jean ! » me dit-il « Avance-toi ! N’aie pas peur ! Cette école est la tienne ! » Etait-il le gardien de ces vieux murs ?
Etait-il le gardien de mes souvenirs ? N’avais-je pas finalement entrepris ce périple pour une seule raison ? Retrouver les miens, mes racines, ma terre?
Je m’approchai alors. Je vis l’antique tilleul et son tronc plus buriné qu’un parchemin. J’entendis un instant le cri des enfants, les roues de la charrette chargée de bois. Je regardai en arrière ; le vieillard avait disparu. Je m’avançai encore un peu. Je vis le préau où les jours de pluie, dans la bousculade, nous nous abritions. Je vis mes camarades, avec leur veste à fermeture, portant en bandoulière leur gamelle brinquebalante remplie des nouilles qu’ils avaleraient après la soupe, préparée par les sœurs.
La soupe au pain fume encore dans l’antique réfectoire, avec cette bonne odeur. Elle repose dans les bols sagement alignés ; le pain dur flotte à sa surface. Sur les marches ensoleillées, un lézard s’attarde, paresseux. Un carreau est cassé à la fenêtre. Sans doute un ballon vagabond, le dégagement malencontreux d’un arrière surpris par l’attaque d’un ailier. J’entends sa course fière. Il dribble sous les yeux du maître, un, puis deux adversaires, crochète. La petite Anne, quelle idée que de mélanger les gars et les filles dans une même cour, a remarqué le jeune garçon. Il est beau, il file comme le vent vers le but du grand dadais. C’est sûr, il va marquer.
Le ballon est parti comme une fusée, et le goal stoïque, placé dans les buts parce que l’on ne sait pas où le mettre et que sa tête arrive à hauteur de la barre transversale, n’a qu’à ramasser le ballon, qu’il a regardé passer dans la lucarne ouverte sur les exploits du champion.
Je m’arrêtai un instant, et je m’assis sur le perron, là, où le maître tentait de nous mettre en rang.
La cloche a sonné et le grand dadais est tout heureux de remettre au maître amusé le ballon, mettant fin à son calvaire.
Dans la gouttière du préau, une mésange a fait son nid. Elle passe et repasse, frôlant la fenêtre ouverte sur une classe assoupie. Vivement la prochaine récré ! Et les divisions, les règles de géométrie, ne trouvent pas preneur.
Mais où est donc Ornicar ? Dort-il, comme les autres? Non ! Il rêve ! Il rêve, par la fenêtre ouverte, au bel été à venir. Il rêve à la moisson, et au souvenir de son père, qui, portant l’épi à sa bouche, mâchonnant le blé dur, a donné le signal. Demain sera un grand jour, un jour de moisson, un jour de vie, et l’école n’a rien à voir avec ça. Je travaillerai la terre comme mon père. C’est écrit dans les arbres, c’est clair comme de l’eau, c’est la promesse d’un enfant.
Je m’amusai de ma rêverie, avec calme. Ces vieux murs m’apportèrent un peu de répit dans la course que j’avais engagée. Je me levai ; sur le point de partir, je jetai un dernier coup d’œil dans cette classe, où j’arrivai pour la première fois en 1968.
J’aperçus la grande règle de mon instituteur, celle qu’il appelait « Martin », et à qui nous devions dire bonjour lorsque nous montrions peu d’entrain à avaler les subtilités de la langue française. « Dis bonjour à Martin ! » Il fallait alors tendre la main, sans trembler, et recevoir un formidable coup.
Je regardai une dernière fois le tableau où je vis, écrit à la craie, la maxime de Beaumarchais « La parfaite raison fuit toute extrémité. » C’était ça ; c’était exactement le programme que j’entendais appliquer. Il faut fuir les extrémités, et surtout ne pas suivre la troupe, quand elle croit avoir raison.
Cela faisait maintenant une heure que je parcourais ces lieux. Je m’étais surpris à caresser la pierre, et je ne savais plus très bien si l’élève appliqué, assis au premier rang, qui chantait à tue-tête lorsqu’il fallait pousser la voix, ne me ressemblait pas un peu.
Le temps avait passé, c’était ça la vérité. Comme il avait passé sur la vieille école, marquant chaque année de son terrible affront : un lierre qui part à l’aventure, des fissures plus nombreuses. Je me dirigeai vers la sortie, et je passai sous le calvaire…
Ecrit par Laurent Maljan
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