Ecrit par Laurent Maljan
Adieu à Poncalleck
Ami chasseur,
Si, par un jour d’automne, tes pas te guident à Poncalleck dans le Morbihan, prête l’oreille. Tu entendras sans doute le chant de cette rivière puissante appelée le Scorff. Tu ne peux pas la manquer. Et tu seras alors tenté de suivre sa course.
Tu verras alors ses remous, les attentions de la lumière du jour dans le plus sombre de ses reflets. Sont ce les couleurs de l’automne qui donnent à ses eaux cette robe chamarrée ? Serait ce une princesse, la fille d’un roi oublié, ou des lutins qui auraient fait son lit ? Nul ne sait ! Sans doute aussi l’imagination du promeneur.
Mais si tu as prêté l’oreille, et si tu as regardé cette rivière comme moi je l’ai vue, tu verras l’ombre des arbres, ces grands arbres sur la hauteur. Ils te saluent tout le long de la route qui mène à la petite chapelle. Ce sont les habitants de cette merveilleuse forêt, où les soirs d’été, dans la moiteur de l’air, s’entend comme un murmure. C’est là que sont mes souvenirs ! Oui ! Dans cette belle forêt. C’est là que j’ai chassé pendant des années.
Avec un peu d’attention, tu entendras la voix de ces chasseurs. La course de leurs chiens, d’un beau setter dans la feuille, sous les houx. Et si tu t’approches du relais, dans la petite maison près du rond-point, tu les entendras rire, et boire, et peut être chanter à la santé des bois, de leurs hôtes, et de la mordorée.
Ces chasseurs furent mes amis. C’était à une époque ancienne ou les chasseurs et leurs chiens formaient ce bel équipage. Ce sont eux qui ont écrit les plus belles pages de l’histoire de cette vieille forêt. Avec respect, avec beaucoup d’humilité, ils ont gravi ces pentes, parfois même ont couru sous les frondaisons. Et quand ils avaient chaud, ils faisaient boire leurs chiens à la fontaine Saint Pierre, puis buvaient à leur tour, en s’essuyant le front.
J’ai chassé à Poncalleck. Je fus même le locataire de cette belle forêt. C’est là que j’appris à chasser le chevreuil, ce superbe animal, moi qui n’étais qu’un chasseur de bécasses. Comme tout bécassier je recherchais de nouveaux territoires, et j’avais remarqué les avantages de cette forêt, et j’imaginai un instant parcourir ses pentes, à la recherche du bel oiseau. Quand je fus informé du départ de l’équipe en place, je postulai, pensant me réserver pour l’objet de mes ardeurs, et laisser à des gens compétents le gros. Mais je n’avais pas le choix, c’est ce que m’expliqua le directeur de l’ONF: pas de chevreuil, pas de bécasse. Je signai aussitôt.
Une forêt un peu particulière puisqu’elle s’étire le long du Scorff. Ce qui explique l’absence du sanglier qui aime les forêts profondes. Ici, pas de sanglier ou si peu, pas de grandes pattes, mais du chevreuil, et bien sûr sa reine, l’unique objet de mes pensées, la bécasse.
Une forêt ordonnée, un peu trop, où la main de l’homme est visible. Le visiteur aura remarqué les coupes nombreuses liées à la présence du dendroctone, cet insecte xylophage, et à la nécessaire exploitation des massifs forestiers.
Je connus là-bas de belles années. J’aimais marcher sous les sapins en compagnie de ma regrettée Cheyenne, et de son fils, Inouk, le seul rescapé de la portée que me donna ma fidèle chienne. Je connus là le manque du chasseur qui a perdu son meilleur soldat. Mais j’appris à connaître ce gredin, qui, s’il n’avait pas les qualités de sa mère, donnait toujours le meilleur de lui-même.
Quelles belles parties je connus sur ces pentes ! Que d’histoires j’aurais à raconter ! L’histoire de ce chevreuil qui traversait la rivière, à un endroit où nul chasseur n’aurait pu imaginer qu’un animal mené par les chiens, pouvait passer, et qui, à la barbe des tireurs, plongeait dans les remous. Je me souviens l’avoir vu s’arrêter près de moi, et me regarder, et me dire : « Tu vois chasseur, tu ne m’auras pas ! ». L’histoire de ces bécasses que les chiens arrêtaient sur la crête, et qui volaient vers l’aval, recommençant de monter, et épuisant nos forces.
La vie est ainsi, vanité, vanité des hommes. L’homme cherche son plaisir, sans retenue, sans attention pour ce qui l’entoure. Que la forêt est belle, que la musique de la rivière est douce ! J’ai chassé ces beaux animaux, et j’ai parfois regretté mon tir. J’ai joué, j’ai couru à perdre haleine, et j’aurais voulu vivre cent ans pour gouter à ce bonheur.
Mais la vie à une fin, et le plaisir aussi. J’avais oublié que l’animal le plus dangereux n’était pas ce bel oiseau ou le brocard chassé par les chiens. J’avais oublié que l’homme est prêt à tout, même à piétiner sa parole. Et je perdis cette belle chasse, ma forêt.
Parfois, passant près d’une rivière, j’entends des bruits. J’ai alors un sursaut, quelque chose comme un émoi. Serait ce le son d’une cloche au cou d’un setter en quête, le son de la trompe au fond des grands bois ? J’entends alors battre mon cœur.
Je te salue chasseur.
Ecrit par Laurent Maljan
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