Ecrit par Laurent Maljan
Belle île, la dorade et le paracétamol
Vous connaissez Jean-Claude ? Jean-Claude dit « JC », un peu comme Jésus Christ. C’est mon voisin à Belle ile. Un voisin, genre dur à cuire et tendance bio. Bronzé toute l’année, un éternel sourire aux lèvres, il passe tous les matins devant la maison, sur sa mobylette, un engin antédiluvien, d’une couleur bleue aussi passée que le jaune du ciré qu’il porte, été comme hiver.
C’est un sacré personnage. Il ne manque jamais de me saluer, lui, sur sa mob pétaradante, et le gros chien placide qu’il a placé sur les filets et casiers à homards, à l’arrière, sur sa petite remorque.
Vous l’avez deviné, il est marin pêcheur.
L’autre jour, il a amené deux araignées, le « monsieur et la dame » qu’il a dit, ce crabe à la chair si fine. « Tu les laisses vingt minutes dans l’eau bouillante. Après, t’as plus qu’à déguster ! » Et « surtout » me dit il, « bois pas n’importe quoi avec ! Prends du gros-plant…»
Et c’est vrai que c’est bon, avec un peu de mayonnaise et du beurre (évitez de parler de cette association à votre médecin).
En été, il amène des tomates aussi rouges que son nez. « C’est des bios ! » et des laitues ventrues, d’un joli vert. Nous le croyons sur parole. Difficile d’être plus bio, son jardin est une vaste friche, mangé par la ronce, où monte la garde le gros chien, entre le berger allemand et le bobtail laineux, dénommé capitaine. A l’entrée, sur le portillon qui tient par une ficelle, il a attaché un écriteau « propriété privée». Personne ne s’y aventurerait ! Au fond, on aperçoit le toit et la cheminée d’une caravane. Impossible de la rater, un drapeau breton a été monté sur un mat. Car JC est un breton pur et dur, et quand il prend le bateau, pour un enterrement ou pour « voir la frangine à Quiberon », toujours à regret, il part « en France ». C’est le genre de situation qui vous interpelle sur votre propre situation, rapport aux migrants.
En hiver, c’est la chasse. Jean-Claude, comme tout bon bellilois, est un redoutable chasseur. Tous les ans, c’est le même rituel. Il part sur sa mobylette, le fusil dans la remorque, la cartouchière en travers de la poitrine, avec sa meute de chiens hurlant, trop heureux de courir.
C’est le capitaine qui est en tête, suivi d’une armée de ratiers, fox, et d’indéterminés. Vers midi, il est à la maison. Il attend un peu dans le jardin entouré de son équipe qu’il appelle « la compagnie ». Il y a capitaine bien sûr, qui adore lever la patte sur nos hortensias ! Mais aussi Sheila, Poutine et…Raspoutine, fallait y penser.
Une fois qu’il est invité à entrer, puisqu’il attend goguenard sur le seuil, il va directement à la cuisine et dépose sur la table un petit garenne, sûr de son effet. Je lui propose de s’asseoir, et de prendre un apéritif. Et à chaque fois, il me dit : « Surtout pas d’alcool, mais je veux bien un petit verre de vin. »
Il a fini par m’inviter à la pêche au « bao ». Ne cherchez pas dans le dictionnaire, je l’ai fait, vous ne trouverez pas. Il s’agit en fait d’une pêche à la palangre. Levé tôt, je me suis dirigé vers le bar, lieu du rendez vous. Jean-Claude m’y attendait avec ses copains. « Fais pas l’intéressant ! » m’avait dit ma femme. J’ai compris le message. Je n’ai donc rien refusé, ni les verres de blanc offerts par les copains de JC, ni la tournée du patron « pour la route », sans omettre de payer la mienne. C’était très courageux, compte tenu du bateau, indéterminé comme ses chiens, mais je ne pouvais plus reculer, et de l’état de la mer. Seul, le sourire de Jean-Claude, et les dorades qu’il sortait de l’eau, me rassurèrent. Je fus un peu malade jusqu’au casse croute, arrosé, je veux parler du vin blanc.
Ce fut une sacrée journée, le genre de journée à marquer d’une pierre blanche, comme on dit. Sauf qu’au retour, fallait s’arrêter au café et raconter la journée aux copains, que dis je aux amis (depuis le matin)…
Jean-Claude me déposa sur le pas de la porte. Je ne peux pas dire que j’importunai ma femme ce soir là. Il souriait me dit elle. Etait ce la satisfaction de me ramener sain et sauf ? Celle du guide vis à vis d’un touriste, ou celle du devoir accompli ?
Je me souvins juste que le lendemain, je repris deux fois du paracétamol, juste « pour la route ! ».
Ecrit par Laurent Maljan
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