Ecrit par Laurent Maljan
Faites honneur à vos bécasses
Vous en conviendrez, il n’y a rien de plus moche que d’oublier une bécasse au congélateur. Passé six mois, elle sera à jeter. C’est une hérésie, un crime ! Un gibier ne peut finir que dans une assiette. Tout chasseur, digne de ce nom, doit se préoccuper de la manière dont il va préparer, puis déguster ses victimes. Le destin du gibier c’est d’être mangé.
La chasse est indissociable de la cuisine. C’est le gibier qui a donné ses lettres de noblesse à la cuisine. C’est avéré, c’est une réalité historique. Nos ancêtres qui se nourrissaient de gibier ont très vite eu la volonté de le préparer en vue d’améliorer son goût. Ce fut l’apanage des rois, et des seigneurs, pour aux dix neuvième et vingtièmes siècles devenir un exercice apprécié de la bourgeoisie.
Oublier une bécasse au congélateur ! Vous n’y pensez pas ! C’est un manque de respect pour ces animaux qui nous procurent tant de joies.
La littérature est pleine de gourmands à la recherche du seul plaisir qui nous reste dans ce monde un peu fou, celui de la table. Je pense à Dom Balaguère, imaginant par avance le repas de Noël qui suivra la messe qu’il expédie, et salivant comme un setter à la pensée des viandes léchées par les flammes de la cheminée. Et bien sûr au vieux baron des Ravots de Maupassant. Imaginez ce vieux monsieur faisant tourner la tête de la bécasse plantée sur un bouchon de liège afin de désigner l’heureux convive qui se délectera de ce mets de choix. Je pense également à Jim Harrisson, plus proche de nous, et à ses mémoires d’un gourmand voyageur.
Comme vous le savez, j’ai été entouré de cuisiniers, mon grand-père, qui malaxait dans une bassine la farce des terrines qu’il préparait, mon père qui, le dimanche soir, lorsque je ramenais une bécasse où un colvert, s’empressait de la mettre au frais. C’était d’abord le plaisir de donner, de partager, et de gouter ce gibier qui avait donné tant de rêve, et qui par le travail du cuisinier prolongeait ce rêve.
J’ai beaucoup de respect pour ces magiciens. Mon grand-père qui aurait pu changer de l’eau en vin, sans que j’en fusse étonné, et que j’admirais, mon père ensuite, qui prenait tant de soin à préparer sa sauce grand veneur. Et tous mes amis, Bernard Rambaud pour ses samoussas de bécasses, Thierry Seychelles, l’heureux propriétaire du Roscanvec à Vannes dans le Morbihan, pour ses perdrix au foie gras, et mon ami Rudy Deniaud.
Vous le savez peut-être Rudy est le taulier de cette maintenant vieille maison perchée sur le port de la Trinité sur mer, je veux parler de l’Azimut. Vous dire deux mots de Rudy, c’est aussi ressentir le plaisir que j’ai, après la saison de chasse, à monter sur le bateau, et à m’engager dans le fameux chenal qui s’ouvre sur la mer, la pêche au large de Belle Ile, et à toutes les espérances. Et cette seule pensée me confirme que c’est foutu, pour nos épouses qui nous attendent, et pour nous, chasseurs et souvent pêcheurs, qui poursuivront toute leur vie la bécasse oiseau roi de la Bretagne et le bar, ce si beau poisson qui, sous sa nappe de beurre blanc, me donne des frissons.
Rudy est un mec sympa. C’est un cuisinier qui te reçoit dans sa cuisine, autant dire son antre, et qui t’offre un verre, là, au milieu des pianos et des casseroles qui apportent aussi tant de bonheur, et qui débouchant une bouteille, te dit « il faut que tu goutes ça…! » c’est Rudy que j’ai vu préparer des filets de lieu jaune avec une rare dextérité, tout en prenant des réservations et en levant son verre.
L’autre jour, j’étais de passage, Rudy m’a dit : « Si tu veux, je peux te préparer une terrine de bécasse ! » Ce qui revenait à dire à un alcoolique, veux tu un whisky ou un truc dans le genre, ce qui, soit dit en passant, est également excellent. Il m’a simplement dit « reviens dans une semaine » ce qui, pour un affamé dans mon genre, relève de l’éternité. Mais c’est quoi une éternité pour un chasseur ? Ce n’est rien, la vie passe si vite qu’il nous faut la savourer, et ne pas perdre une occasion de gouter au plaisir de la cuisine.
Ce fut un grand moment ! Découvrir ce que des mains expertes ont composé. C’est comme une promesse, une musique inconnue, la certitude d’un plaisir inégalé. Et ce fut le cas !
Cette recette est la suivante, je vous la livre ci-dessous, vous la méritez.
Bon appétit à tous !
Recette de la terrine de bécasse
Pour une terrine de 1,05 kg, 6 pièces de bécasse
300 g de lard fumé
300 g de gorge de porc
400 g de poitrine de porc
2 oignons
3 carottes, facultatif
40 g de truffe ou 150 g de champignons de Paris
D’abord, désosser les bécasses, garder les suprêmes de côté, désosser les pattes.
Hacher la poitrine de porc avec le reste des viandes plus les foies et cœurs des bécasses et les légumes, ne pas oublier l’assaisonnement de sel et poivre.
Passer les suprêmes à la poêle côté peau pendant 2 à 4 minutes pour la coloration. Prendre une terrine, mettre une partie de la farce, ajoutez les suprêmes et répéter l’opération jusqu’au sommet de la terrine.
Enfourner dans un four préchauffé à 180°, pour plus de confort votre terrine peut être mise dans un bain-marie.
Cuire pendant 20 minutes à 180° et 40 minutes à 160°.
Après la sortie du four laissez refroidir à température ambiante pendant 2 heures et passer au réfrigérateur 36 heures.
Et déguster
Ecrit par Laurent Maljan
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