Ecrit par Laurent Maljan
Qu’est ce qu’un vrai bécassier ?
J’étais un très jeune chasseur, et je me trouvais avec un ami dans les bois de Villeneuve, ce territoire immense, dans une de ces grandes allées qui font la particularité de cette chasse. Nous vîmes alors se diriger dans notre direction un chasseur avec son chien. C’était un drôle de bonhomme. Son cuissard était déchiré ; ses mains, son visage étaient tannés comme du cuir; son chien, un setter, trépignait.
La crosse de son fusil, un 20, était polie comme un marbre. L’homme exprimait une telle sérénité qu’on eût dit qu’il vivait là, qu’il faisait partie du décor. Mon ami s’arrêta et s’adressa à lui avec beaucoup de respect. Quand il fut parti, il me dit « c’est un bécassier ! »
Le bécassier est un solitaire. Si tu décides de chasser la bécasse comme je l’ai fait, abandonne toute idée d’association. Certes, tu peux prendre plaisir à chasser avec un camarade, je l’ai fait ; ce sera ton binôme. C’est plus qu’un ami. C’est trop de joies et aussi de déceptions partagées pendant des années; c’est la personne avec laquelle tu as le plus de connivences : un petit geste, un léger sifflement et tu as compris…On dira : « il chasse avec… » voulant signifier que ces deux là sont inséparables. Quand tu le perdras, lorsque ton pote partira, victime de ses excès, rejoindre les grandes plaines moutonneuses de l’au- delà, ta douleur sera vive. Mais tu ne deviendras bécassier que le jour où, seul, avec ton chien, le meilleur des compagnons, tu quitteras ta maison pour entrer dans les grands bois.
Tu connaîtras alors les plus belles des émotions, celle d’avancer dans les landiers, de respirer le parfum âpre des pins, de retrouver ton chien à l’arrêt dans la fougère, et d’apercevoir ce bel oiseau, le plus beau, qui aura disparu avant même que tu n’ais eu le temps de lever le fusil.
J’ai beaucoup chassé, j’ai connu des bécassiers. J’aurais aimé connaître Monsieur de R…, son célèbre chapeau, dans la merveilleuse préface de René Hénoumont à l’anthologie de la bécasse. J’ai connu ces solitaires, aux mains et aux cuissards lacérés, avec leurs chiens affûtés comme des couteaux. Dès le premier coup d’œil, tu savais à qui tu avais affaire. Ce n’était pas le tableau qui les intéressait, bien qu’ils étaient souvent dotés d’un coup d’épaule fulgurant. Mais dans leur attitude, dans le travail du chien, tu devinais l’excellence.
Un bécassier a mauvais caractère, c’est un bagarreur. Il n’aime pas la concurrence. Son chien qui ne bronchera pas sous votre caresse ne connaît que son maître. Il sera, c’est peu de le dire, avare de renseignements. Et s’il vous donne une indication ne croit pas un mot de ce qu’il vient de te dire.
Un bécassier garde ses secrets, ses « coins », tu ne sauras jamais ce qu’il a fait. Toute la semaine, il scrutera le ciel, s’enquerra de la météo et surtout des frimas de l’hiver.
« Faudrait un coup de froid ! » entend-on souvent. Comme le pêcheur attend le vent de suroit, le bécassier guette le coup de froid, avec une bonne gelée. Vous le savez, ça les fait bouger. Vous n’aurez plus alors qu’à vous concentrer sur les sols humides près des rivières, ou dans les queues d’étang, et ce que je vous dis est vrai.
Vous l’aurez compris, le bécassier c’est d’abord un chien, un chien d’arrêt. Ce n’est pas un champion mais vous savez que vous pouvez compter sur lui. Les meilleures races sont les britanniques, setters, pointers, mais les épagneuls excellent sous la ronce, et certains braques peuvent être redoutables.
C’est un homme en forme. En effet, il faut beaucoup d’abnégation pour passer l’automne et l’hiver dans les ajoncs, les ronciers, sous la pluie, dans le froid. Combien de cuissards ai-je usés ? A la fin d’une saison, vos mollets, vos cuisses sont plus durs que la pierre.
C’est souvent un tireur mais, comme je vous le disais, ce n’est pas un élément essentiel, car j’ai souvent vu des bécassiers qui, sur la fin de leur existence, je veux parler de leur existence de bécassier, vers 55 ans, se contentent de regarder les chiens. Cela vous paraît très court mais c’est la vérité. Après 55 ans vous faites parler l’expérience, vous n’avez rien de nouveau à ajouter aux belles pages que vous avez, avec vos compagnons, écrites.
Je vous le dis comme je le pense. Quand vous aurez chassé comme je l’ai fait, vu mourir plusieurs de vos chiens, perclus d’arthrose, d’avoir trop couru dans les bois, sous la pluie, quand vos muscles commenceront à fléchir, et que seule la beauté de cet oiseau, la bécasse, la demoiselle au long bec, qui a bravé tant de dangers lors de son grand voyage, vous importera, vous vous arrêterez ; c’est vrai, c ‘est tellement beau une bécasse.
Ecrit par Laurent Maljan
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