Ne le dis pas à ton chien Laurent

Ecrit par Laurent Maljan

30 août 2023

Un petit village breton

Ce fut la découverte la plus importante de ma nouvelle vie de pensionnaire à Saint-François Xavier, dans le Morbihan. Cela se passait en 1971. Alors que j’ouvrais la première page d’une bande dessinée retraçant les aventures de deux gaulois, l’un petit, l’autre énorme, je tombai en arrêt devant la carte représentant la gaule romaine, et en particulier, sur la situation du village de ces collectionneurs de casques romains.

Laurent Maljan - Un petit village breton
Ca sent la chasse avec cheyenne a belle-ile
guillemet

Le village était très exactement positionné au niveau de Limerzel sur la carte de la Bretagne. Je n’en dormis pas de la nuit. Je venais de faire une découverte anodine mais lourde de conséquences : j’appartenais donc à cette tribu d’irréductibles rebelles, imperméables à l’ordre établi, surtout quand il est illégitime.

Cette pensée me porta durant les premiers mois de pensionnat comme elle me rendit encore plus triste d’avoir quitté mes amis. Finies les longues journées d’été à construire des cabanes, à fabriquer des habits en feuilles de châtaigner. Finies les parties de pêche dans les rivières, d’où je rentrai crotté avec, dans le meilleur des cas, une chaussure en moins, envasée dans un trou de pied de vache, et les matchs de foot improvisés. Mes parents avaient décidé que je ne suivrai pas mes camarades au collège de Questembert mais que j’irai en pension à Vannes. Était-ce la volonté de mon père qui avait connu la dure loi du pensionnat dans sa jeunesse, ne rentrant que tous les trois mois à la maison, était-ce la volonté de ma mère qui voyait dans ces années de collège chez les jésuites un gage pour l’avenir ? Je n’eus pas le temps d’y réfléchir.

A la rentrée de septembre, je me retrouvai dans un grand dortoir où les lits étaient alignés impeccablement. Je découvris ce nouveau monde tellement éloigné de mon petit pays.

A Saint François Xavier, dans les années 70, il y avait un parloir, comme dans les prisons. Les permissions s’appelaient des admittatur, et nous portions l’uniforme. Certes, ce n’était pas la tunique de nos pères avec des boutons dorés mais le blazer, le pantalon gris et la cravate. Je me souviens de cette attente le samedi midi, dans le grand couloir qui menait aux classes de sixième, où Monsieur Gouëlo, inspectait notre tenue. L’absence d’un élément constitutif de l’uniforme était la certitude de ne pas rentrer à la maison. A cette pensée, ne pas retrouver mes amis, les bois, et la cuisine du restaurant avec ses bonnes odeurs, mon cœur de petit limerzelais saignait. Non ! Pour rien au monde je n’aurais raté le car qui nous attendait à la Rabine, cette porte nauséabonde, le port était un égout, sur le rêve, sur la liberté.

 

C’était extraordinaire de rentrer au village en uniforme, en gamin de dix ans, avec cette cravate et cette veste de couleur bleue qui ne manquait pas d’éveiller l’intérêt de mes copains, et de notre voisine, une veille fille, qui, incrédule, s’étonnait qu’un si jeune garçon puisse être invité à un mariage tous les samedis. C’était même parfois la rigolade. En effet, cet uniforme, le symbole de mon appartenance à ce monde très particulier qu’était un collège de jésuites, cette sacrée cravate dont l’oubli pouvait vous envoyer en colle, faisait marrer les copains qui ne revêtaient ce genre d’accoutrement qu’à l’occasion d’un événement très important tel qu’un mariage ou un enterrement. 

 

Aussi, dès que j’étais dans le car, j’enlevais ma pendeloque, prenant soin de ne pas en défaire le nœud, la pliais et la mettais dans ma poche.

Le car n’allait jamais assez vite quand il s’agissait de retrouver ma patrie. Je regardais les paysages, reconnaissant les lieux. A l’arrêt de Questembert, je savais que j’étais en pays ami, et que j’étais proche de la délivrance. A Limerzel, qui était le terminus, c’était la joie. Je courais jusqu’à la maison, balançant mon sac, et j’allais directement à la cuisine du restaurant où je retrouvais tout ce que j’aimais, les odeurs et ses bruits familiers, le moteur de la chambre froide, le cliquetis des couverts que les serveurs déposaient à la plonge. Tout m’était familier, et cette immersion dans un monde, mon monde, était comme un bain en été sous un soleil caniculaire. Mes parents s’enquerraient de mon carnet de notes ce qui était, comme la cravate, le dernier de mes soucis, essayant de comprendre les sigles d’appréciation « a », « e ».

 

Mon père hochait la tête, ma mère jubilait, quel que fut la signification de ces lettres qui pour elle ne voulaient rien dire : son fils était pensionnaire au collège et cette pensée, qui ne la quittait pas de la semaine, seule, était importante.

A peine achevé le repas, avalé à la va-vite, au milieu des toques blanches qui s’affairaient sur les pianos, et éludé les questions embarrassantes, je filais. J’allai rejoindre mon cousin Yves, grand adolescent, qui me dépassait de deux têtes, et qui avait décidé de m’initier à ses préoccupations, en écoutant les chansons à la mode. Maxime Le Forestier avec sa maison bleue mais aussi « mon frère » qui donnait à mon cousin l’impression d’être un militant antimilitariste. Herbert Pagani qu’il aimait beaucoup, et Leni Escudero avec sa lettre au président, sensée parachever mon initiation à la contestation mais dont je ne retenais que la jolie complainte. Mais il y avait aussi la blanche hermine de Gilles Servat, dont l’invitation à rejoindre notre armée me semblait égratigner son militantisme, mais qu’il présentait comme un incontournable de l’émancipation toute nouvelle de la culture bretonne.

 

Yves était extraordinaire….la suite sera à découvrir dans un prochain ouvrage. En attendant vous pouvez lire le dernier La Balade gourmande du rêveur.

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